Le président Diomaye Faye se fait remarquer par sa tenue de camouflage… Un chef de l’État qui s’affuble d’un camouflage pour ne pas passer inaperçu, il faut avoir vécu jusqu’en 2024 pour revoir ça. Certes, le costume et la mise en scène rappellent l’attirail du bedonnant Macky Sall dix ans auparavant, qui saute alors depuis son piédestal jusqu’à une défaillante station de traitement des eaux avec, dans la garnison héroïque et vengeresse, l’inévitable Mimi Touré. Un spectacle affligeant que l’on ne pense pas revoir de sitôt. Hélas… Ça ne prend pas tous les mêmes mais ça recommence. Au moins, on ne mourra pas idiot : c’est pain béni, de notre vivant, d’avoir la chance insigne de savourer également le spectacle touchant du svelte président Bassirou Diomaye Faye en camouflage de commando, manches retroussées, chapeau de brousse sur la tête et rangers aux pieds, le pas décidé, s’apprêtant à affronter ces maudites eaux qui troublent son magistère en semant la désolation dans l’Est.

Un inévitable lâcher des eaux nous apprend-on doctement du côté de l’OMVS, pour que les ouvrages ne cèdent pas sous le poids du trop-plein. Le pourquoi du comment sera sans doute réservé à plus tard, après que les ministres et chefs d’État de l’organisation auront papoté au sujet du sexe des anges engendrés par la décrue du Fleuve Sénégal. Mieux vaut tard que jamais dit le sage… Là, en effet, ce n’est plus le moment de verser une larme et se faire du mouron concernant nos pauvres concitoyens qui voient les eaux en furie dévaster leurs vies. Le temps, déjà perdu, est désormais à l’action. Retour à la case départ. C’est en avril 2024, dès leur accession au pouvoir, que le nouveau régime doit labourer l’arrière-pays, ce Sénégal des profondeurs qui vote pour un quasi inconnu au CV rachitique. Par gratitude et en reconnaissance : dire merci et, en même temps, s’enquérir des urgences de ce peuple exaspéré mais patient, qui sait changer de direction quand le guide qu’il se choisit prend la mauvaise pente. Il ne manquera sans doute pas, au cours de ces tournées d’information, un compatriote au langage assez direct pour leur expliquer les aléas des hivernages et les urgences de l’heure. Il n’en sera rien… Le président nouvellement élu préfère prendre l’avion et visiter le gratin planétaire, poser avec les grands du monde, ressasser des antiennes sur l’avenir de l’humanité. Quant aux Sénégalais qui espèrent un, euh, projet de société censé les mettre à l’abri de la misère, ils peuvent guetter les bienfaits de l’horizon 2050, les pieds dans l’eau, le pantalon retroussé et le baluchon sur la tête. Là, le président Bassirou Diomaye Faye leur fait l’honneur de les regarder de haut, les survoler, après la promesse d’un budget de huit milliards de nos pauvres francs CFA à propos desquels personne ne sait trop quelles plaies ces numéraires sous-développés vont panser. Bien sûr, sur place, le sauveur sublime ne manque pas d’annoncer une décision forte pour marquer sa détermination. Ce sont les orpailleurs qui écopent pour l’occasion. Pendant ce temps, Ousmane Sonko, le « meilleur Premier ministre de tous les temps » selon son admirateur de président, organise sa quête à Dakar Aréna en direction des législatives. Apparemment, il ne doit pas rester grand-chose des fonds politiques, ou même des autres tiroirs où ça peut racler les deniers publics sans histoire, puisque le président du Pastef, téméraire tête de liste de la coalition du même nom, s’oblige à réclamer une dîme à ses inconditionnels, via Kopar Express. J’oubliais : en avril 2024, quand Macky Sall leur remet de mauvaise grâce les clés de la maison Sénégal, ils trouvent des comptes falsifiés et un pays en ruines. Qu’à cela ne tienne : aux yeux d’Ousmane Sonko, l’occasion est trop belle pour présenter sa version de l’histoire des événements de 2021 à 2024. Bien sûr, il est surtout question de son génie politique et sa vista stratégique qui installeront Pastef aux commandes de la République.

Bien entendu, ses disciples boivent du petit lait : « Ousmane Mou Sèll Mi » est un visionnaire qui voit les emmerdes arriver au grand galop, prévoit les chausse-trappes, anticipe les complots et pousse le patriotisme jusqu’à renoncer à la présidence de la République pour laisser passer son second, qu’il surnomme « Serigne Ngoundou ». Le Patriote Suprême pousse le génie jusqu’à tomber sciemment dans le piège de Sweet Beauty. Rassurez-vous, c’est fait exprès… Ses condamnations pour « corruption de jeunesse » et diffamation sont programmées, histoire de divertir la tyrannie en place qui ne fera pas attention au placide Bassirou Diomaye Faye, déjà en prison. Ses ruses de sioux portent leurs fruits : le 24 mars 2024, 54 % de l’électorat sénégalais plébiscitent son bras gauche. Cette semaine tumultueuse est le moment aussi que choisit Bougane Guèye Dany pour se signaler à l’attention de ses futurs électeurs : au prix de sa liberté et au péril de sa vie, il ira porter son aide aux sinistrés du Sénégal oriental. Bien entendu, les forces de l’ordre ne l’entendent pas de cette oreille, surtout quand leurs patrons reçoivent des ordres d’en haut. Ça finit par une arrestation musclée, une garde-à-vue et un mandat de dépôt. La comparution devant les juges en flagrant délit est fixée à la semaine prochaine, le 30 octobre, précisément. Pour l’heure, Bougane Guèye Dany attend en prison à Tambacounda que la justice se prononce sur son refus d’obtempérer aux ordres des gendarmes. Les vitupérations des leaders de la coalition « Sàm sa kàdu », Barthélémy Dias en tête n’y feront rien. Enfin, pas tous. On apprend que Déthié Fall, troisième sur leur liste nationale, en bon politicien africain, bavarde nuitamment avec Ousmane Sonko. Un peu comme son mentor de l’époque, Idrissa Seck, alors chef de l’opposition, qui négocie le fromage du CESE en catimini avec Macky Sall pendant que ses lieutenants crachent le feu sur le régime. Un jour lointain, quand le suicidaire manitou de « Gueum Sa Bopp » sera du camp des vainqueurs, il ne faudra pas s’étonner de le voir rassembler ses ouailles à Dakar Aréna pour leur expliquer le génie politique qui dort alors en lui et inspire cette manière téméraire mais stratégique de se jeter volontairement en prison ; ce qui serait, selon ses prédécesseurs, « le raccourci pour le Palais ».

C’est également l’instant que choisit Amadou Bâ pour sortir du bois. Devant la presse, à la Maison du Parti socialiste —légitime retour à la maison-mère— le candidat arrivé deuxième à la présidentielle de mars 2024 remet les points sur les « i ». Selon lui, malgré son silence depuis la dernière présidentielle, on sait à présent « qui a trahi qui »… L’occasion est trop belle pour ne pas se laver à grande eau : il ne meurt pas de faim, à n’en pas douter mais ce n’est pas un crime quand on n’a rien à se reprocher. Ça tombe bien, le Premier ministre Ousmane Sonko, qui l’accuse de tous les péchés d’Israël, dont une falsification des chiffres et une fortune inexplicable, le défie : un débat public pour solde de tout compte. Perso, je ne crois pas une seconde que ce débat aura lieu. Mais le hic ne viendra pas d’Amadou Bâ : ses lieutenants le disent favorable au duel, en tout lieu, à tout moment. La douche froide viendra du CNRA : sous la férule de son nouveau président, Mamadou Oumar Ndiaye qui déclare n’avoir pas l’intention de jouer les gendarmes, l’organe de régulation fait tout de même la police de circonlocution… Problème : personne n’exige qu’il soit médiatisé. Si ça se tient en plein air, devant une foule de curieux, loin des télévisions et des radios, en quoi le CNRA est-il concerné ? La parade rappelle les esquives d’Ousmane Sonko lorsque la justice le convoque dans l’affaire Adji Sarr, ou Mame Mbaye Niang : il a toujours un ami qui ne lui veut que du bien pour bondir de nulle part et l’empêcher de déférer aux convocations. Et même lorsqu’en sa qualité de Premier ministre, Ousmane Sonko doit affronter les représentants du peuple pour sa Déclaration de Politique générale, c’est depuis les rangs des députés que jaillit la lumière : Guy Marius Sagna, avec sa verve coutumière, lui présente l’excuse du règlement intérieur pour sortir du traquenard par une porte dérobée, avant que le président de la République soi-même ne dissolve le Parlement. Tout ça nous rappelle les années de braises, avec le pic de la présidentielle de 1988, lorsque l’opposant Wade et ses disciples, dont l’actuel président du CNRA, réclament un face-à-face avec le président Diouf.

Les Socialistes, qui ne misent pas trop sur le canasson qui leur sert de poulain, multiplient les prétextes pour éviter le massacre en direct… Bref, il n’est pas question de tenir ce face-à-face auquel Barthélémy Dias veut resquiller en précisant que seul l’usage du français, la langue officielle, sera toléré… C’est un coup en bas de la syntaxe ?