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Deux décisions récentes du président américain Donald Trump démontrent à quel point sa politique sert les intérêts de la Russie, à la fois en Ukraine et contre l’Europe. Le président américain a décidé l’interruption d’une livraison d’armes destinée à Kiev et s’est permis une entorse délibérée aux régimes de sanctions, au bénéfice du géant russe du nucléaire Rosatom et de Viktor Orban.

Moins d’armes américaines pour l’Ukraine, plus de marge de manœuvre économique pour Moscou. Deux décisions récentes de Washington viennent illustrer très concrètement les conséquences de l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche pour la guerre en Ukraine et les sanctions contre la Russie.

Les États-Unis ont annoncé, mardi 1er juillet, l’interruption de la livraison de certains équipements militaires à l’Ukraine. Officiellement, la Maison Blanche a fait savoir qu’elle ne faisait que suivre les recommandations du Pentagone, qui s’inquiétait du niveau des réserves de certaines armes pour les besoins de la défense du pays.

Une semaine plus tôt, une autre décision de l’administration Trump a quant à elle éclairci l’horizon commercial de sociétés russes du secteur du nucléaire, tel que le géant Rosatom. Le Trésor public américain a introduit des exceptions à une interdiction édictée à la fin du mandat de Joe Biden de faire des affaires avec des banques russes.

Certes, il s’agit d’une mesure très ciblée, ne concernant que le financement de projets dans le domaine du nucléaire civil, mais c’est la première entorse aux régimes des sanctions américaines contre la Russie que Donald Trump se permet. Des sanctions alourdies régulièrement depuis les premières mesures décidées par Washington après l’annexion de la Crimée en 2014.

Défenses anti-aérienne et munitions pour artillerie

“Ce sont deux signaux envoyés par les États-Unis confirmant ce dont on se doutait déjà : que Washington n’est plus aussi déterminé à être aux côtés de l’Ukraine et que le succès contre la Russie n’est pas essentiel pour les intérêts américains selon Donald Trump”, résume Mark Harrison, professeur émérite d’économie et spécialiste de la Russie rattaché à l’université de Warwick.

La décision d’interrompre la prochaine livraison d’armes ne laisse guère de place au doute. Les inquiétudes du Pentagone sur les réserves stratégiques peuvent être légitimes, mais ce choix n’en demeure pas moins “une indication que le soutien logistique à l’Ukraine n’est plus une priorité pour les États-Unis”, assure Mark Harrison.

Surtout que cette livraison – dont Washington n’a pas dévoilé le contenu précis – était censée mettre entre les mains des soldats ukrainiens des équipements considérés comme prioritaires. Les États-Unis avaient en effet prévu d’envoyer à Kiev des munitions à destination de son artillerie, de ses défenses anti-aériennes, ainsi que des missiles, détaille le New York Times.

Autant d’éléments essentiels dans une guerre contre les Russes où le bombardement de positions fortifiées et la défense contre les menaces venues des airs (drones, missiles) sont devenus vitaux pour l’Ukraine.

Cette décision de ne pas envoyer ce matériel “ne va pas avoir d’effet dans l’immédiat, car il y a encore d’autres livraisons qui sont encore en cours, que ce soit depuis les États-Unis ou l’Europe. Mais l’effet pourra se ressentir à plus long terme, surtout si l’Europe ne parvient pas à combler ce désengagement nord-américain“, explique Mark Harrison.

Au-delà du matériel qui risque de manquer sur le front, c’est aussi une bonne nouvelle pour le moral russe, car “il est très différent et difficile d’affronter un adversaire ukrainien en sachant que les États-Unis sont déterminés à faire tout ce qu’ils peuvent pour venir en aide à Kiev”, souligne Mark Harrison. Ce n’est plus le cas.

Surtout que cette décision dépend également “beaucoup de considérations de politique interne aux États-Unis”, souligne Kirill Shakhnov, économiste à l’université de Surrey qui s’est intéressé à l’impact sur la Russie du régime des sanctions internationales. Pour cet expert, Donald Trump a probablement repoussé sine die cette livraison pour donner des gages à l’aile la plus “America First” du parti républicain, qui a peu gouté l’opération militaire américaine en Iran. Ces isolationnistes exigent que le président américain s’en tienne à sa promesse “de se retirer des conflits dans lequel les États-Unis jouent un rôle”, souligne Kirill Shakhnov. Autrement dit, l’Ukraine est réduite au rôle de levier de négociation afin que Donald Trump puisse avancer sur d’autres priorités, comme l’Iran.

Cadeau à Viktor Orban

Si l’Europe peut espérer compenser le manque à livrer américain, le Vieux Continent se retrouve plus démuni quant à l’autre gage – plus économique – que Donald Trump vient d’offrir à Vladimir Poutine. La décision américaine de commencer à grignoter le régime des sanctions en offrant un bol d’air financier aux acteurs russes du secteur du nucléaire peut surprendre.

“Ce n’est clairement pas quelque chose qui va avoir un impact majeur sur l’économie russe”, souligne Kirill Shakhnov. “Les exportations de gaz et de pétrole sont bien plus importantes que celle d’uranium”, précise Chloé Le Coq, spécialiste des questions énergétiques à l’université Paris Panthéons-Assas qui a travaillé sur les sanctions sur les exportations d’hydrocarbures russes.

Pour les experts interrogés par France 24, il existe deux explications possibles à ce cadeau américain offert au nucléaire civil russe. D’abord, en commençant petit par un domaine moins important pour le Kremlin, l’administration Trump peut tester le terrain et constater si cette décision entraîne une levée de boucliers. Ce n’est pas le cas… à part dans plusieurs médias ukrainiens.

Ensuite, il suffit de regarder du côté de ceux qui se réjouissent de cette décision. Il y a le géant russe du nucléaire Rosatom, mais aussi la Hongrie de Viktor Orban. Deux jours après l’annonce américaine, les autorités hongroises ont annoncé que ces exemptions allaient leur permettre de relancer le mega-projet de construction de la centrale nucléaire Paks-2… financée en grande partie par Rosatom. “Donald Trump a pu prendre cette décision pour faire plaisir au Premier ministre hongrois, un de ses principaux soutiens en Europe”, estime Kirill Shakhnov.

Il s’agirait alors de petits arrangements entre amis hongrois, américains et russes sur le dos de l’efficacité des sanctions. Viktor Orban avait très mal digéré le fait que l’une des dernières décisions de Joe Biden, en novembre 2024, avait mis son projet de centrale nucléaire à l’arrêt parce que l’une des banques russes, Gasprombank, qui travaillait avec Rosatom sur ce chantier, avait été ajoutée à la liste des sanctions américaines.

Un pied russe dans le futur “marché unique de l’électricité” en Europe ?

Paks-2 est perçu par le gouvernement hongrois comme l’un de ses plus importants projets économiques. La centrale devait être financée à hauteur de dix milliards d’euros par Rosatom et des banques russes.

La décision de Donald Trump rend expressément à Gasprombank la possibilité de financer des projets liés au nucléaire civil. Reste à comprendre pourquoi Rosatom tient tant à perdre de l’argent en dépensant une fortune à construire une centrale qui ne devrait pas lui rapporter autant, note Chloé Le Coq.

“Lorsqu’on voit un acteur économique prêt à accepter une telle perte financière, on se dit forcément qu’il y a un autre motif”, ajoute cette experte. Surtout lorsque Rosatom fait partie de l’équation, car ce groupe public sert souvent d’outil d’influence pour Moscou.

En l’occurrence, Chloé Le Coq suggère qu’une explication possible réside dans le projet européen “de bâtir un marché unique de l’électricité, et si un acteur russe en détient une part, aussi petite soit-elle”, c’est déjà un problème. Surtout que “contrairement au pétrole et au gaz, il est difficile de trouver une source d’énergie de substitution une fois que la centrale nucléaire est rattachée au réseau électrique”, précise Chloé Le Coq. En d’autres termes, la décision de Donald Trump ne fait pas seulement les affaires de la Russie et de la Hongrie, mais elle dessert aussi les intérêts européens. Tout pour plaire.

Source : France 24