Le Sénégal est un pays déchiré, déchiqueté et mis en lambeau par ses propres habitants, ses acteurs politiques surtout. Un pays qui ne dispose plus de consolateurs pour rappeler à l’ordre et réparer les liens sociaux distendus. Un pays où les destructeurs de valeurs, les casseurs de ponts et les insulteurs règnent en maîtres. On piétine l’entente et la cohésion nationale, on chahute l’héritage commun, on caricature les symboles de la République. On s’espionne, on se dénonce, on se dénigre, on s’insulte, on se lapide tous les jours, à tous les niveaux. On se ridiculise les uns les autres, on rit, on s’esclaffe, à qui mieux mieux. On veut effacer les autorités religieuses et coutumières, et toutes les digues et frontières protectrices… Hélas, c’est cela faire de la politique aujourd’hui chez nous, c’est cela passer du bon temps, c’est cela changer le monde. Et la dérive s’amplifie, chaque jour plus suicidaire, et aucune détresse n’arrive à tempérer les ardeurs subversives : ni le chômage généralisé, ni la vie de plus en plus difficile, ni l’insécurité galopante, ni la fuite des jeunes vers des cieux plus cléments, ni les pirogues remplies de cadavres, ni les inondations, les crues de fleuves et le désarroi qui les accompagne… Pendant ce temps, les activistes du Net prolifèrent, recrutés pour la plupart par les partis politiques, et les injures et les outrages fusent de plus belle, l’animosité grandit et la bêtise se voit pousser des ailes. Comme pour « accélérer la cadence », la ministre des Affaires étrangères prend la défense et porte en triomphe une militante de Pastef qui insulte l’ex-président et son épouse dans un vol de Royal Air Maroc, à la grande joie des « patriotes » ; Barthélemy injurie les jeunes lui criant le nom de Sonko, qu’il appelait affectueusement « doomu ndey » (plus que frère), et qu’il surnomme à présent MIMI (menteur, incapable, manipulateur, incompétent), traitant Abass Fall, son challenger pour le contrôle de la capitale, de voleur ; celui-ci lui rappelle l’affaire du mil de la ville de Dakar et l’emprisonnement de son mentor, cependant que la ministre de la femme lui conseille de répondre à tous ceux qui l’accusent de détournement d’une formule : « maa tey » (je m’en fou).

Et, pendant que s’institutionnalise le je-m’en-foutisme, après s’être démocratisé et bien incrusté dans les cœurs, les droits de l’homme vacillent, et Bougane, sur la route de Bakel, se fait rudoyer et arrêter par les flics, en s’écriant, comme dans un film, en une sorte de suite logique du feuilleton de Pastef : « N’est-ce pas cela que dénonçait Sonko quand il était dans l’opposition ! »Pendant ce temps, le président Diomaye case ses militants et ceux de ses alliés, en distribuant généreusement des postes de directeurs et autres, comme on distribue des parts de gâteau. Quant au Premier ministre, après avoir traité l’ex-président et ses collaborateurs de menteurs et faussaires et rétrogradé le Sénégal au quatrième sous-sol, il « taxe » toutes les personnes nommées à des postes de responsabilité dans le but de renflouer la caisse du Pastef, et délivre des attestations de culpabilité et d’innocence à qui il veut, se glorifiant de ses simulacres du temps de l’opposition et se gargarisant de son « giga meeting » à Dakar Aréna, comme s’il ignore que la fabulation est sans noblesse et que le pouvoir ne se vante pas de mobilisations, mais de réalisations…Hélas, contrairement aux promesses faites, c’est toujours l’État au service du parti, et en pire, ajoutent certains, car chez nous, semble-t-il, le pouvoir change en pourrissant et en pourrissant ses détenteurs.

Et la politique politicienne n’épargne rien, n’épargne personne, pas même la religion, pas même la coutume, pas même la famille, tout se déchire, tout se divise, tout se fracture… Car les leaders politiques sont toujours dans les maquillages, les combines, les compromissions, aujourd’hui plus que jamais : Sonko et Diomaye s’occupent d’élection, de renforcement du parti et d’avenir personnel, oubliant l’avenir du Sénégal et des Sénégalais ; Mimi, pilier du « système », impitoyable broyeuse d’opposants, devient l’ange gardienne de « l’antisystème », pourfendeuse de l’ex-président ; Mame Boye, autre pilier du « système », grand prêtre de Macky, se décrète apôtre du couple Diomaye-Sonko ; la députée libérale, Diarra Fam, et bien d’autres encore, se cherche une place au soleil du nouveau pouvoir, parfois en rampant comme des vers de terre… ; Karim se coalise avec son « oppresseur » d’hier, non sans rompre les liens avec ses plus fervents défenseurs lorsque celui-ci le malmenait ; Amadou (PM de Macky) en entente avec Mansour (ministre et frère de Macky) tourne le dos à son ex-patron qui, semble-t-il, l’aurait trahi, après l’avoir choisi comme candidat de sa coalition aux élections présidentielles passées…Pendant ce temps, les populations, sevrées d’attention, de sollicitude et de compassion, attendent… Et me vient à l’esprit la formule attribuée à Lamine Gueye à propos du « bon politicien », « celui-là qui sait se faire applaudir cent fois, pour dix mensonges différents, dix fois répétés, tout en sachant qu’il ment, et poursuivre le jeu… » Et cette autre : « Le politicien et le peuple, c’est comme une voiture en panne et ses pousseurs : une fois en marche, elle les abandonne sur la chaussée, souvent dans un nuage de fumée, et jusqu’à la prochaine panne. » Et cette autre encore, au goût de dépit : « Que celui qui se comporte comme un âne, soit traité comme tel. »Enfin cette interrogation que répète le peuple alternance après alternance : « À quand le changement véritable ? »Réponse : « Pas après les prochaines élections, car rien ne changera, pas même la configuration tant déplorée de l’institution parlementaire et son cirque habituel : si Sonko gagne, ce sera le comble du je-m’en-foutisme, le « maa tey » dans toute sa laideur et sa puanteur ; si l’opposition gagne, ce sera du bruit dans du bruit, du vacarme comme en raffolent nos compatriotes.

Dans tous les cas, le peuple attendra : le théâtre politique se poursuivra de plus belle, drôle et affligeant à la fois. L’avant-goût sera donné pendant la précampagne et la campagne à venir, véritables « sabaru jinne » (tamtams endiablés), pour emprunter à Pape Samba Kane le titre de son roman. » AKG