Par Magaye GAYE, Économiste international

Chaque année, la rentrée des classes, censée être un moment d’espoir et de renouveau, se transforme en véritable calvaire pour des millions de familles africaines. Dans un contexte d’inflation généralisée, l’école est devenue une machine qui saigne les ménages et affaiblit l’économie nationale. Mais au-delà des coûts, les résultats mêmes de l’enseignement sont préoccupants. Malgré des taux de réussite apparemment parfois élevés dans les examens, force est de constater que l’école africaine souffre d’un déficit réel de qualité.

Dans un pays comme le Sénégal, le système éducatif formait jadis des élites capables d’occuper les plus hautes fonctions internationales, parfois jusqu’à diriger l’UNESCO ou la FAO. Aujourd’hui, beaucoup d’élèves peinent à prononcer une phrase correcte et accusent de graves lacunes techniques, conséquence d’un enseignement général trop privilégié au détriment des savoirs pratiques.

Un calvaire financier pour les familles : La charge financière des familles est écrasante. Les frais d’inscription atteignent des niveaux insupportables, et les parents doivent acheter des listes interminables de fournitures dont une partie ne sera jamais utilisée. La situation est aggravée par la qualité médiocre des articles vendus : des stylos qui s’assèchent en une semaine, des sacs qui se déchirent après un trimestre, des gourdes hors de prix déjà inutilisables après quelques jours.

Des dérives pédagogiques qui sapent l’éthique : À cela s’ajoutent des pratiques pédagogiques qui creusent les inégalités et sapent la confiance dans l’école. Dans beaucoup d’établissements, des enseignants organisent des cours particuliers payants pour leurs propres élèves ou leur imposent l’achat de fascicules rédigés par leurs soins. Ces dérives créent un climat malsain où l’éducation se transforme en marché parallèle. Le plus grave, c’est que cette logique produit des diplômés qui peinent à maîtriser les savoirs fondamentaux et qui, souvent, n’ont pas acquis le comportement éthique attendu. Certains, malgré leurs titres universitaires, n’hésitent pas à détourner des fonds publics lorsqu’ils sont mis dans des positiond de responsabilité. L’école africaine n’a pas encore réussi à intégrer l’héritage des grands penseurs et guides religieux locaux, qui ont pourtant prouvé leur efficacité en matière d’éducation morale et de formation de l’homme vertueux.

Une dépendance absurde aux importations : Le problème dépasse les familles et les enseignants : il touche l’économie nationale. Presque toutes les fournitures scolaires sont importées, alors même que les matières premières existent localement. Prenons l’exemple de la gourde : deux millions d’élèves sénégalais, chacun avec une gourde achetée à 2000 francs CFA, représentent déjà quatre milliards de francs CFA injectés hors du pays. Et cela sans compter les renouvellements dus à la mauvaise qualité des produits. Ces milliards pourraient être investis localement si l’État africain soutenait sérieusement l’industrie nationale du papier et du plastique.À cette dépendance, s’ajoute l’incohérence des politiques éducatives observée depuis les indépendances. Les programmes changent sans cesse, obligeant les familles à racheter de nouveaux manuels sans valeur ajoutée réelle. Les livres de « Doudou et Fatou » sont remplacés par « Sidi et Rama », puis par d’autres, toujours au détriment des parents. Dans le même temps, les opportunités offertes par le digital ne sont pas saisies. Alors que des solutions numériques pourraient réduire les coûts et moderniser l’enseignement, l’école reste enfermée dans des pratiques classiques et coûteuses.L’éducation, qui devrait être un levier de souveraineté et de développement, est trop souvent abandonnée aux logiques mercantiles et aux influences étrangères. Elle devient un espace de consommation forcée, un fardeau économique et une dépendance organisée.

Réformer vite avec des mesures simples : Il est urgent de changer de cap. Les autorités africaines doivent agir, et vite. Encadrer le marché des fournitures scolaires, soutenir les industries locales, assainir les pratiques enseignantes, introduire le digital de manière intelligente et accessible. La rentrée des classes ne doit plus être une saignée pour les ménages ni une hémorragie pour l’économie. Elle doit redevenir ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : un moment de renouveau, d’investissement productif et de préparation de l’avenir.Il n’est pas nécessaire d’attendre des années ni de disposer de milliards pour commencer à réformer. Dès l’actuelle rentrée des classes. un ministre de l’Éducation responsable pourrait prendre des mesures simples mais décisives : plafonner les frais d’inscription, interdire la vente de fascicules par les enseignants, rationaliser la liste des fournitures, et surtout mettre fin à l’emprise des éditeurs privés.

L’État devrait devenir propriétaire d’un manuel unique par matière et par classe, produit localement et librement reproductible, que ce soit par photocopie ou en version numérique. Une telle décision, peu coûteuse mais courageuse, permettrait d’alléger immédiatement la charge des ménages, de restaurer l’éthique et de redonner confiance dans l’école africaine.