Issu d’une famille modeste, devenu l’un des hommes les plus riches du Kenya, William Ruto se présente comme le candidat des pauvres, face à l’alliance des « dynasties » de la vie politique kényane, incarnée le duo Raila Odinga et Uhuru Kenyatta. À 55 ans, le vice-président sortant, au passé sulfureux, brigue le fauteuil présidentiel pour la première fois.

Il a fréquenté les bancs de l’école pieds nus, porté sa première paire de chaussures à 15 ans et vendu des œufs et des poulets sur le bord des routes de la vallée du Rift : William Ruto est issu d’une famille modeste et aime le rappeler.

Parti de rien, devenu homme d’affaires à succès – l’un des plus riches de son pays – le quinquagénaire se présente comme le héraut de la « Hustler Nation », la nation des « débrouillards ». Il fait de son parcours et de son ascension fulgurante un argument de campagne, un slogan, presque une marque. Et la posture fait mouche dans un pays frappé par une inflation galopante, où trois Kényans sur dix vivent avec moins de 1,90 dollar par jour, selon la Banque mondiale. Et où, selon Oxfam, la fortune des deux Kényans les plus riches est supérieure aux revenus cumulés de 30 % de la population, soit 16,5 millions de personnes.

Mais le parcours du vice-président est moins lisse que ne le voudrait cette légende. Diplômé en sciences, brièvement enseignant, William Ruto fait ses classes en politique dans les années 1990 auprès de Daniel Arap Moi – unique président Kalenjin qu’a connu le Kenya. Il s’engage, précisément, au sein des sulfureuses jeunesses de la Kanu, le parti de l’autocrate, tristement réputé pour avoir pourchassé les membres de l’ethnie Kikuyu dans la vallée du Rift au cours de ces années.

Sa première tentative d’être élu, en 1997, est la bonne. Il devient député pour la circonscription d’Eldoret Nord et s’impose rapidement comme une personnalité influente au sein du parti. À 36 ans, il est propulsé ministre. Il occupe divers portefeuilles, dont ceux de l’Éducation, et de l’Intérieur, puis réussit un tour de force : accéder en 2013 à la vice-présidence, en se présentant comme le colistier d’Uhuru Kenyatta, candidat de l’ethnie Kikuyu jusque-là rivale. Ce magistral retournement d’alliance, dont le Kenya est coutumier, choque l’opinion. Et pour cause : cinq ans plus tôt, les deux hommes se sont affrontés par communautés interposées au cours d’une crise post-électorale qui a fait plus de 1 000 morts et qui leur vaut alors d’être tous les deux inculpés par la Cour pénale Internationale (CPI), accusés d’avoir joué un rôle de premier plan dans l’orchestration des violences.

Leur alliance, baptisée « coalition des accusés », vise à unir leurs forces pour faire enterrer ces poursuites. Et cela fonctionne. À peine le duo élu, s’engage une vaste campagne d’intimidation et de disparition de témoins qui contraint la CPI à abandonner les poursuites contre les deux hommes « faute de preuve ». Le procès de Paul Gicheru, avocat kényan accusé d’avoir soudoyé et intimidé des témoins au point de rendre impossible la poursuite de la procédure contre William Ruto, s’est cependant ouvert le 15 février dernier à La Haye.

Le prévoit également qu’Uhuru Kenyatta soutienne la candidature de son vice-président à sa succession en 2022. L’avenir semble tout tracé pour William Ruto. Mais sur ce point, leur alliance se brise. En 2018, Uhuru Kenyatta opère une nouvelle volte-face en se rapprochant cette fois de Raila Odinga, jusqu’alors son éternel opposant, dont il soutient désormais à candidature à la présidentielle.

En fin stratège, Willam Ruto, le vice-président aujourd’hui candidat, reste en fonction, tout en s’employant à construire son statut d’opposant. Et n’hésite pas – après avoir pourtant passé plus de 10 ans au cœur de l’appareil d’État – à se poser en challenger de l’establishment, face à l’alliance des dynasties incarnées par Odinga et Kenyatta.

William Ruto part en campagne très tôt. Sillonne le pays en casquette et polo, multiplie les saillies contre le bilan d’Uhuru Kenyatta pour mieux s’en dissocier. Il fustige Raila Odinga comme « la marionnette » du président sortant. Chrétien « born again » revendiqué et père de six enfants, il promet surtout de « sortir du désespoir des millions de personnes » en développant une économie ascendante, qui irait du bas vers le haut. Dans plusieurs interviews accordées récemment, il se targue même de remplacer les clivages ethniques – ferment régulier de la compétition en politique kényane – par un clivage social.

Est-ce assez pour faire oublier son passé sulfureux et la longue série de scandales et accusations de corruption auxquels son nom est associé et que le candidat a toujours soigneusement balayés ? L’étendue de sa fortune et des parcelles de terres qu’il a acquises dans l’Ouest et sur la côte kényane font l’objet de nombreux soupçons. C’est d’ailleurs un point qu’il partage en commun avec le député Righathi Gachagua, qu’il a choisi comme son colistier (voir encadré).

S’agissant du scrutin du 9 août, depuis le début de la campagne, William Ruto ne cesse de souffler le chaud et le froid. Il promet qu’il acceptera le résultat de l’élection, quel qu’il soit, et dit faire confiance à la commission électorale pour organiser une élection « crédible ». Mais cela ne l’empêche pas dans le même temps de multiplier les sorties destinées à jeter le discrédit sur le fichier électoral, ou d’accuser des officiels de faire pression sur les fonctionnaires et de tenir des réunions nocturnes destinées à comploter dans le but d’empêcher de remporter l’élection.

Righati Gachagua

À 57 ans, Righati Gachagua aime se présenter comme le fils d’une famille de combattants pour l’indépendance du Kenya, 8e d’une fratrie de 9 enfants. Diplômé en sciences politiques, il débute dans la fonction publique sous Daniel Arap Moi, puis devient en 2001, l’assistant personnel d’Uhuru Kenyatta, ministre à l’époque. Les deux hommes cheminent ensemble 5 ans puis se fâchent. Une fois élu député en 2017, Rigathi Gachagua devient l’un des plus farouches opposant du président sortant. Il est originaire du comté de Nyeri, le plus riche en électeurs au sein du Mont Kenya, le principal réservoir de voix du pays. C’est l’une des raisons pour lesquelles il a été préféré comme colistier au sénateur Kithure Kindiki, donné favori. L’autre explication tient sans doute à l’ampleur de son immense fortune, et de la capacité de mobilisation qui en découle.

À 15 jours du vote, la justice l’a d’ailleurs rattrapé à ce sujet. Un juge anti-corruption lui a ordonné rendre à l’État l’équivalent d’1,7 million d’euros, acquis illégalement. Selon l’Agence de recouvrement des actifs du pays, l’ARA, Rigathi Gachagua est impliqué dans un système complexe de blanchiment d’argent impliquant plusieurs sociétés qui recevaient des fonds de ministères avant que l’argent ne soit transféré sur ses comptes personnels. Mais le député a fait appel. Et cette décision de justice semble avoir eu un écho mesuré dans l’opinion « Il est l’exemple vivant d’un véritable débrouillard qui s’est hissé des lendemains de notre lutte pour la liberté au sommet de la réussite professionnelle, commerciale et politique », vantait William Ruto au moment d’annoncer l’avoir choisi comme colistier.