Premier anniversaire de la création de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) sous le signe de la morosité et du scepticisme. Bilan d’étape de cette organisation qui a choisi de prendre ses distances avec la Cédéao. Ce 16 septembre marquait le premier anniversaire de l’Alliance des Etats du Sahel, devenue, entre-temps, une confédération des trois Etats du Mali, Niger et Burkina Faso. S’agissant du bilan laborieusement exposé dans les discours des dirigeants et relayés par les propagandistes assermentés, rien qui puisse susciter l’enthousiasme des foules. Lors de la création de cette Alliance, suivie du retrait des trois pays de la Cédéao (Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest), ses initiateurs promettaient « un pacte de défense mutuelle visant à lutter contre le terrorisme et à contrer toute menace de rébellion ou d’agression extérieure ». Sur ce point, le bilan est diversement évalué. Alors que les inconditionnels de l’AES le jugent « satisfaisant », les plus indulgents l’estiment « mitigé ». Au-delà de ce léger strabisme divergent, la réalité apparaît bien plus alarmante. Au Mali, comme au Burkina Faso et aussi au Niger, la macabre comptabilité des victimes des assauts terroristes ne cesse d’affoler les observateurs et experts des situations de conflits. Ainsi, en juillet dernier, ACLED (Armed Conflict Location & Event Data) indiquait une augmentation sensible du nombre de victimes civiles au Sahel au cours du premier semestre 2024. Plus de 3 000 morts, dans des attaques ciblées, entre janvier et juin 2024. Dans les trois pays, les attaques ont augmenté de près de 48% entre 2022 et le premier semestre 2024, selon les chiffres croisés de différents rapports.
Le mensonge fondateur des régimes de l’AES
Face à ces inquiétantes évolutions de la situation sécuritaire, les dirigeants semblent recourir à la méthode Coué, affirmant obstinément, dans leurs discours, obtenir des « succès », grâce à la « mutualisation des efforts » de l’Alliance des Etats du Sahel. Cet optimisme frise l’égarement de la pensée, car ne résistant pas au choc des scènes d’horreur qui se sont multipliées, au cours des derniers mois aussi bien au Burkina Faso qu’au Mali. Principales victimes, les populations civiles. Victimes des groupes djihadistes, et aussi, à maintes occasions, des éléments de l’armée. Le 24 août dernier, à Barsalogho, au nord du Burkina Faso, plus de 400 personnes ont été tuées par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (Jnim), lié à Al-Qaïda. Les victimes civiles étaient occupées à creuser des « tranchées de défense », à la demande du chef de la junte, Ibrahim Traoré. Le fébrile capitaine qui ne doute de rien et surtout pas de lui-même, avait publiquement présenté ces futures tranchées comme une stratégie antiterroriste issue de sa géniale pensée. A la suite de ce qui est considéré comme la pire tuerie de l’histoire du pays, le capitaine Traoré n’a, à ce jour, émis la moindre parole de condoléances et de compassion envers les populations éplorées.S’invitant à leur manière dans cet anniversaire de l’AES, les terroristes du Jnim ont lancé une double attaque, ce 17 septembre, contre l’aéroport militaire et un camp de gendarmerie, à Bamako, au Mali.
Une offensive dont le mode opératoire inédit a occasionné, selon un communiqué des assaillants, « la mort de centaines de soldats appartenant aux forces maliennes et aux mercenaires russes du Groupe Wagner ». Selon les autorités maliennes, l’attaque aurait été contenue et des terroristes auraient été faits prisonniers. Une déclaration volontairement laconique qui masque mal l’embarras du pouvoir de Bamako. Au regard de ces cruelles circonstances, les dirigeants des pays de l’Alliance peuvent-ils encore prétendre être les maîtres des horloges dans la lutte antiterroriste ? Seraient-ils réduits à subir le chronogramme que leur imposent les jihadistes ? On pourrait aussi s’interroger sur la doctrine militaire sur laquelle se fonde, aujourd’hui dans les territoire de l’AES, la lutte contre les groupes armés non étatiques (GAT) et l’extrémisme violent. On pourrait aussi questionner le contrat avec le groupe russe Wagner dont l’assistance opérationnelle dévoile de plus en plus ses propres limites. En prenant le pouvoir par les armes, les dirigeants de l’AES avaient promis « éradiquer » les GAT en un court délai. Cette promesse est devenue le mensonge fondateur de leurs régimes.
Régimes autoritaires et huis-clos diplomatique
En créant l’AES, les dirigeants putschistes projetaient d’étendre leurs actions communes aux secteurs stratégiques tels que l’économie, la sécurité alimentaire, l’énergie ou encore les infrastructures. Pour l’heure, tous les voyants sont au rouge. Difficile de percevoir des signaux permettant d’espérer à moyen terme une amélioration de la vie quotidienne des gens. Les matins enchanteurs peuvent attendre. La création promise d’une nouvelle monnaie peut aussi attendre, car les trois pays n’ont pas renoncé aux avantages des mécanismes de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) dont ils restent membres malgré leur prise de distance avec la Cédéao…Pendant ce temps, on aura assisté à un recul saisissant des libertés publiques et à l’instauration décomplexée de régimes autoritaires indifférents au respect des droits humains et déterminés à réprimer toutes les voix indésirables. Dans les discours, la démocratie est archivée dans la catégorie des calamités absolues.
Au Burkina Faso, les enlèvements des personnes jugées déviantes sont devenus une pratique ordinaire. Au Niger, le pouvoir a institué, le 27 août dernier un « Fichier de personnes, groupe de personnes ou entités (FPGE) » soupçonnées d’actes en rapport avec le terrorisme, et « autres infractions portant atteinte aux intérêts stratégiques et/ou fondamentaux de la Nation ou de nature à troubler gravement la tranquillité et la sécurité publiques ». En lisant les différents articles de cette ordonnance, la liste des personnes susceptibles d’être concernées est particulièrement longue. Tout Nigérien pourrait, à tout moment, se sentir visé par les déclinaisons futures de ce texte liberticide.Aujourd’hui, à quoi se résume le protocole des relations internationales des pays de l’AES ? Une rupture tapageuse avec tous leurs partenaires qualifiés d’occidentaux, et une diplomatie exclusive et sécuritaire avec la Russie. Résultat : un processus d’isolement volontaire, un huis-clos aux finalités incertaines… Après avoir annoncé leur retrait de la Cédéao, les juntes de l’AES se sont appliquées, au fil des mois, à entretenir une stratégie de la tension avec les pays voisins. Alimentant leurs discours prétendument « souverainistes » avec la désignation d’« ennemis extérieurs », ils n’ont eu de cesse d’accuser certains pays voisins de velléités hostiles et de projets d’agressions. Objectif de ces propos fantaisistes : maintenir la flamme de leurs partisans et conforter leur pouvoir. En effet, s’il est une réussite à mettre au crédit de ces juntes, c’est bien d’avoir su veiller à l’ancrage de leur pouvoir. Et c’était bien là, le principal ressort de leur retrait de la Cédéao. Début 2025, ce retrait devrait être définitivement entériné par les instances de l’organisation régionale. La question, urgente et vitale qui se pose désormais, est de savoir à quoi ressemblera le projet de société auquel les populations de l’AES seront amenées à souscrire ou à se conformer, dans la durée.
Francis Laloupo