Dans cet entretien, Djimo Souaré, coordonnateur national des domaines agricoles communautaires (Prodac) nous, parle de long en large du rôle du Prodac dans le tissu économique et social du Sénégal,  tout en ne manquant pas de souligner l’impact social des domaines agricoles communautaires dans leurs zones d’implantation. Et mieux, explique-t-il, le Prodac reste ouvert à tous les investisseurs privés Sénégalais et étrangers.

Entretien réalisé par Babou Landing Diallo

Afrikmanagement : Et si vous nous parliez d’une manière globale du Prodac ?

Djimo Souaré : Le programme des domaines agricoles communautaires a été mis en place en 2014 par son excellence Macky Sall, président de la République du Sénégal pour répondre à deux préoccupations : le problème de l’emploi des jeunes et la souveraineté alimentaire. C’est un programme de création d’emplois à travers les métiers de l’agriculture. Il faut entendre par là l’élevage, la pisciculture, bref toutes les activités agricoles. Il s’agit en tout cas d’aménager dans l’hinterland, dans l’arrière -pays de vastes étendues de terres pour mettre à la disposition des populations du foncier, (vous savez que le foncier pose problème au Sénégal) mais aussi des infrastructures de dernière génération pour optimiser leur production en offrant aussi des services à travers nos centres de service et de formations les ASTC un incubateur. L’incubateur permet de former les jeunes aux métiers de l’agriculture et leur permet d’être de véritables entrepreneurs agricoles.

Monsieur Djimo Douaré, coordonnateur national du Prodac

Le Prodac a pour mission première de lutter contre le chômage, quel bilan peut-on tirer à ce niveau ?

D.S : Le programme est dynamique.Il a été créé en 2014. C’est vrai que nous avons traversé des moments difficiles dans la mise en place d’un programme aussi ambitieux, des phases d’études etc.  Donc ce qui fait que nous avons mis du temps mais le programme reste très dynamique. Nous avons au niveau de nos domaines agricoles communautaires (DAC) formé beaucoup de jeunes, principalement à Séfa dans la région de Sédhiou, Keur Momar Sarr dans la région de Louga. Des centaines de jeunes ont été incubés dans ces Dac cités. Ils ont suivi des formations dans ces lieux et beaucoup de jeunes sont retournés chez eux en devenant des entrepreneurs agricoles. Au sein même de ces Dac, nous avons des groupements d’entrepreneurs agricoles (GEA). Ils sont en train de faire de la production. Ce qui a participé, vraiment, à améliorer la production dans les zones d’implantation des Dac.

Quels sont les Dac les plus dynamiques de votre programme ?

D.S : Nous avons trois portefeuilles de projets. Il y’a d’abord les Dac de la première génération : il s’agit du Dac de Séfa à Sédhiou, du Dac de Keur Momar Sarr dans la région de Louga, du Dac de Itato dans la région de Kédougou, du Dac de Keur Samba Kane dans la région de Diourbel et du Dac de Sangalkam dans la région de Dakar. Ce sont là, les Dac de la première génération. Ces Dac sont réalisés avec l’entreprise Israélienne Green.

Parmi ces Dac il y a trois qui sont fonctionnels : c’est Séfa à Sédhiou, Keur Momar Sarr à Louga et Itato à Kédougou. Il y a deux autres qui sont en travaux : ce sont les Dac de Keur Samba Kane à Louga et de Sangalkam à Dakar. Ils sont réalisables à hauteur de 80%.  

A Séfa et à Keur Momar Sarr ce sont des Dac qui tournent en plein régime. Nous essayons de faire le maximum pour faire tourner Itato. Nous faisons de la production là-bas. On accompagne les producteurs et on incube là-bas aussi des jeunes. Mais on est aussi à la recherche de financements pour maximiser les potentialités du Dac de Itato à Kédougou. Et nous sommes sur la bonne voie.

Il y a les Dac de la deuxième génération. Ce sont les Dac financés par la banque islamique de développement.  Ils sont dans le Niombato, dans le département de Foundiougne région de Fatick, Dodji, dans le département de Linguère région de Louga, Fafacourou dans le département de Médina Yoro Foula région de Kolda et de Boulèle dans la région de Kaffrine. Ce sont les Dac de la deuxième génération financés par la banque islamique de développement. Le projet a été lancé en 2017. Il y a eu des retards dus à la Covid 19 mais là nous sommes sur la bonne voie. Les travaux ont démarré. Nous comptons rendre ces Dac de la deuxième génération fonctionnelle avant le 31 décembre 2024.

 A côté, il y a les Dac de la troisième génération : ce sont les Dac de Matam, de Nioto Diobass dans la région de Thiès. Et lors du dernier conseil des ministres de Tambacounda (conseil des ministres décentralisé au mois de décembre 2022), le président de la République m’a instruit de lancer un projet de Dac à Tambacounda. Ces trois Dac sont ceux de la troisième génération. Ils sont encore à l’Etat de projet. Nous n’avons pas encore obtenu de financement pour ces Dac-là. Nous sommes sur la bonne voie. Et dans le cadre des activités de l’hivernage nous avions lancé des projets intéressants.

Justement, dans ce cadre il y’a un projet qui a été bien accueilli et qui avait retenu l’attention : c’est le Papadac. En quoi consistait-il ?

D.S :Vous savez le Papadac, c’est un programme d’appui aux producteurs des zones d’implantation des Dac qui a été élargi à la zone de Tambacounda. C’est une campagne qui a été mené en partenariat avec le ministère de l’agriculture. C’est pour accompagner les producteurs des zones d’implantation des domaines agricoles communautaires (Dac) en semences, en intrants etc. Et nous les accompagnons techniquement. Pour cette campagne nous n’avons pas encore fait le bilan mais les perspectives sont très bonnes, les producteurs sont très contents. Cette campagne nous a permis de créer ou de maintenir 25000 emplois. Il y a également 11000 tonnes de produits alimentaires qui sont attendus. C’est pour vous dire tout simplement l’importance et l’impact que cette campagne a eu au niveau des zones d’implantation des Dac. Nous avons de très beaux retours, les producteurs sont contents. C’est l’occasion pour nous de remercier le ministère de l’agriculture qui nous a accompagnés et notre ministère de tutelle, le ministère de la jeunesse et de l’emploi.

Des centaines de jeunes incubés ont bénéficié de formation et d’encadrement dans les Dac de Séfa, Itato et Keur Momar Sarr. Est-ce une manière d’investir aussi sur le capital humain ?

D.S : Tout à fait. Vous savez….comme je l’ai dit notre premier objectif c’est l’emploi des jeunes. Donc le Prodac est un incubateur. Au niveau des Dac, nous avons ce qu’on appelle les ASTC (les centres des services et de formation). Donc notre but c’est vraiment d’incuber les jeunes pour les former aux métiers de l’agriculture pour en faire des entrepreneurs agricoles. Donc ces jeunes incubés ont le choix après de se regrouper en GEA (groupement d’entrepreneurs agricoles) pour s’investir au niveau des Dac à travers des aménagements qu’on a mis à leur disposition ou retourner dans leur région d’origine. En ce moment, on va les accompagner à travers les conventions que nous avons avec les instruments financiers comme la Der (délégation générale à l’entreprenariat rapide des femmes et des jeunes) pour qu’ils puissent s’implanter dans leur région d’origine.

L’objectif est d’incuber 300 jeunes. Nous avons envoyé 50 jeunes à Séfa, Sédhiou (au Sud du Sénégal), 50 autres à Keur Momar Sarr, Louga  (au nord-Ouest du pays) et 50 autres à Itato, Kédougou (à l’Est du pays). Et nous voulons, vraiment, avant la fin de l’année atteindre l’objectif des 300 incubés. En 2024, nous allons, inchallah, booster ce programme. Notre cœur de métier, c’est vraiment l’incubation, la formation des jeunes. C’est de leur permettre de devenir des entrepreneurs agricoles. Nous allons en tout cas mettre tous les moyens nécessaires, inchallah avec l’aide bien sûr des partenaires comme les 3FPT, l’ONFP pour incuber le maximum de jeunes. Parce que ce sont ces jeunes qui deviendront de véritables entrepreneurs agricoles.

Certains jeunes incubés rencontrés au Dac de Sefa, nous ont fait part de leurs inquiétudes après la fin de leur formation. Leur principal souci nous ont-ils fait savoir : vont-ils bénéficier d’un accompagnement une fois dans leurs contrées pour y développer des activités agricoles ?

D.S : C’est le but même du programme. Vous savez … nous sommes dans une dynamique de complémentarité avec les autres programmes de l’Etat. Le président Macky Sall a créé beaucoup d’instrument et je pense que ces instruments doivent être complémentaires. Donc pour le volet formation, il y a le 3FPT et l’ONFP. Sur un autre volet, à savoir le volet financier, il y a la Der et autres. Nous, après incubation nous nous rapprochons de ces instruments financier à travers les conventions que nous avons avec eux pour accompagner ces jeunes afin qu’ils puissent retourner dans leur région d’origine pour y mener des activités agricoles. Nous avons récemment tenue une importante réunion, convoquée par le ministre de la jeunesse et de l’emploi. A cette rencontre il y avait la Der, le 3FPT et d’autres partenaires et la Der est vraiment disposée à nous accompagner à accompagner tous ces jeunes pour qu’après cette période d’incubation qu’ils puissent pratiquer des activités agricoles chez eux.

En matière de production végétale et animale quelle est la plus -value que le Prodac a amenée sur le marché national ?

D.S : Si je prends l’exemple du Papadac, vous savez que chaque année le Sénégal importe plus  400000 tonnes de maïs. De ce fait, nous comptons vraiment participer à la souveraineté alimentaire. Dans toutes les zones d’intervention, dans toutes les zones d’implantation des Dac, les populations sentaient nettement qu’il y a une intensification des activités et ça joue forcément sur la production. Et cela va aller crescendo. Aujourd’hui à Sédhiou au niveau du Dac de Séfa, qui est vraiment le domaine agricole vitrine, les gens ont senti nettement qu’il y a une amélioration au niveau de la production. Parce qu’avec les infrastructures de dernière génération qui y sont (des tracteurs, des machines de transformation) les populations ont pu optimiser leur production. Et ça participe beaucoup à la lutte pour la souveraineté alimentaire.

Le Dac de Séfa a mis en place une boutique témoin dans la ville de Sédhiou où sont vendues pratiquement toutes les productions végétales du Dac ce que les populations apprécient beaucoup. Mais au-delà certains ont émis le souhait que l’accent soit mis également sur la production animale. Sédhiou sur ce plan n’est pas bien loti puisque même lors de la fête de Tabaski les populations sont obligées d’aller ailleurs pour s’approvisionner en moutons. Quelle réponse le Prodac à travers le Dac de Séfa pourrait apporter à ce problème ?

D.S : Au niveau du Dac de Séfa la production végétale est en train de servir au-delà même de la région de Sédhiou. Les produits du Dac sont pratiquement visibles dans toutes la Casamance. Comme vous l’avez dit il y a une boutique témoin à Sédhiou et nous comptons d’en multiplier à travers le pays. Maintenant nous allons intensifier nos activités en ce qui concerne l’élevage. Nous avons investi dans notre budget de cette année sur une infrastructure pour développer l’élevage au niveau du Dac de Séfa. Nous voulons vraiment que la région de Sédhiou, la Casamance soit autonome, surtout en ce qui concerne la fourniture de moutons pour la fête de Tabaski. C’est dans la même dynamique que nous essayons de booster les activités piscicoles pour le Dac de Itato. Nous avons cette année réhabilité les bassins piscicoles de Itato (80 bassins) pour au moins dans la région de Kédougou et ses alentours jusqu’à la région de Tambacounda qu’on puisse servir du poisson un peu partout.

Nous sommes  dans cette même dynamique à Keur Momar Sarr pour la culture de l’oignon, la pomme de terre et autres. Nous sommes vraiment dans une très bonne dynamique et notre but c’est de créer des emplois mais aussi arriver à l’autosuffisance alimentaire. Faire en sorte qu’a Sédhiou que le besoin en viande, en mouton soit vraiment résorbé, le besoin en poisson à Itato, Kédougou qu’on puisse satisfaire la demande au niveau local et même au niveau sous régional. Nous travaillons dans cette dynamique et nous sommes sur la bonne voie.

Le Dac de Séfa reste une référence. C’est notamment le Dac vitrine du Prodac. A votre niveau quels sont les outils ou les mesures qu’il faut mettre en place pour vraiment consolider cet acquis ?

D.S : Nous avons en tout cas aujourd’hui mis en valeur 1950 ha au niveau de Séfa, il y a une délibération de plus de 5000 ha, mais nous n’avons pour le moment les moyens en termes d’investissement pour faire des aménagements sur toute l’étendue de l’assiette foncière. Chaque année nous essayons avec nos budgets quand même de faire des aménagements pour permettre aux incubés qui seront regroupés sous forme de GEA (groupement d’entrepreneurs agricoles) et de se redéployer au niveau des zones d’aménagement des fermes. Notre objectif c’est vraiment d’occuper toute l’assiette foncière à travers des partenariats qu’on pourrait avoir avec d’autres services de l’Etat et aussi des privés. Comme vous le savez, il y a 25% des terres qui sont réservées pour les opérateurs privés. Aujourd’hui beaucoup de gens sont confrontés au problème du foncier. Avec ce programme le problème du foncier est en partie réglé. Les privés peuvent venir s’installer bénéficier des infrastructures du Dac et également des ressources humaines. Comme je l’ai dit, il y a des jeunes qui sont incubés qui sont formés aux métiers de l’agriculture. Ils peuvent servir de main d’œuvre éventuellement à des privés qui souhaiteraient investir dans le domaine agricole communautaire.

plan du Dac de Sefa

Et quelle est la place des femmes dans le Prodac ? Je veux dire leur niveau d’implication dans l’entreprenariat agricole.

D.S : Comme vous le savez dans notre pays les femmes sont à la base du développement. Vous avez été à Séfa et vous avez vu le rôle important que les femmes jouent. Les femmes y ont été formées, elles sont regroupées en GEA et font la production. Cala leur a permis vraiment de rehausser leur niveau de vie et quelque part d’avoir des revenus. Aussi bien à Séfa qu’à Keur Momar Sarr, les femmes s’investissent dans l’agriculture au niveau des Dac. Et elles sont toutes satisfaites d’être prises en compte par ce programme.

Inclusivement le Dac de Séfa a réussi sa pénétration dans la zone en ce sens que les populations en sont très fières. Quelles stratégies comptez-vous adopter pour que dans d’autres contrées où sont implantées des Dac les populations aient ce sentiment de fierté de ces fermes modernes ?

D.S : La démarche que l’on adopte un peu partout … vous savez le président de la République qui a eu l’idée de créer cet important programme à une vision. Cette vision c’est la territorialisation du développement. Ce n’est pas pour rien qu’il a investi des milliards dans les zones les plus reculées pour donner à ces jeunes qui sont formés dans les métiers de l’agriculture. La potentialité de ces zones c’est l’agriculture, élevage et pisciculture. C’est pour dire tout simplement qu’un jeune de Sédhiou ou de Tambacounda, de Keur Momar Sarr sache qu’avec ces infrastructures de dernière génération qu’avec ces investissements qu’il peut valoriser les potentialités de son terroir. Ce qui est important. Et chez les populations on sent une certaine fierté. On sait que le développement ne se limite pas à Dakar ou dans les zones urbaines. Le Sénégal est en train de le montrer à travers le président de la République qui a beaucoup investi dans les zones rurales.

Le Prodac reste un bon modèle d’après les experts. Et ce modèle pourrait certainement inspirer d’autres pays du continent. Est-ce qu’il arrive qu’on vous interpelle lors des forums, salons et autres rencontres internationales sur ce programme?

D.S : Bien sûr. D’ailleurs je sors d’une réunion ce matin (le jour de l’entretien jeudi 19 octobre dans l’après-midi ndlr) avec son excellence, l’ambassadeur du Rwanda au Sénégal. Au-delà de la coopération nord-sud, la coopération sud-sud est aussi importante. Je veux dire au niveau africain.

Nous étions partis lui expliquer ce qu’est un domaine agricole communautaire et les opportunités qu’offre ce programme à d’éventuels investisseurs africains. Donc comme je l’ai dit tout à l’heure, il y a 25% des terres qui sont réservés aux privés qui peuvent être des Sénégalais ou Africains. De ce fait, nous participons à des salons pour vendre ce modèle. C’est aussi une manière d’envoyer un message aux investisseurs étrangers pour leur dire qu’il y a des possibilités avec le Prodac pour développer des activités. Nous ce qui nous intéresse : c’est la création d’emplois et l’optimisation de la production alimentaire au Sénégal. Nous prévoyons des rencontres avec d’autres autorités à travers leur ambassade. Donc le Prodac au-delà du Sénégal est en train de montrer toutes les potentialités qu’il peut offrir à des investisseurs aussi bien Sénégalais qu’étrangers.

Et quel appel lancez-vous aux privés africains désireux d’investir au Sénégal notamment dans le secteur agricole ?

D.S : Nous leur disons que nous sommes dans un pays africain, le Sénégal où l’Etat, à travers le président de la République, a eu l’idée d’implanter dans les zones les plus reculées du Sénégal, des domaines agricoles communautaires qui sont prêts à les accueillir. Ces domaines sont dans des zones rurales où il y a énormément de potentialités et qu’ils peuvent y développer leurs activités, y faire leur business. Et que nous sommes vraiment ouverts à les rencontrer à leur montrer ce que nous faisons dans les Dac. Ce sont des opportunités pour eux.