Dans son rapport Exporting Corruption 2022, l’ONG Transparency International alerte sur un recul général sur le front de la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales. Cette tendance globale n’épargne pas l’Union européenne, où la moitié des Etats membres n’enregistrent aucun progrès et où l’Espagne, l’Italie, le Portugal et la Suède accusent même un décrochage brutal. Quant à la France, elle stagne, victime d’une absence de volonté politique et d’une pénurie de moyens alloués à la justice économique et financière. Tous les deux ans, le rapport Exporting corruption évalue la manière dont les 47 plus grands exportateurs mondiaux luttent contre la corruption de leurs entreprises multinationales à l’étranger. Parmi ces pays, 43 sont signataires de la Convention de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales. Vingt-cinq ans après la signature de la Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption, le 17 décembre 1997, la plupart des pays sont encore loin de respecter leurs obligations au titre de la Convention. Le rapport Exporting Corruption 2022 fait état d’un recul continu de la lutte des plus grandes économies mondiales contre la corruption de leurs entreprises à l’étranger. Entre 2020 et 2022, la part des pays mettant en œuvre de façon active la convention anti-corruption de l’OCDE a diminué pour passer de 16,5% à 11,8% des échanges globaux – en 2018 cette part s’élevait à 27 %. Cela représente une baisse de 56% en quatre ans. Un autre chiffre illustre ce recul général : la moitié des exportations mondiales proviennent de pays qui ne luttent pas contre la corruption internationale. Si les crises successives, au premier rang desquelles la lutte contre la pandémie de COVID-19, mettent à mal les efforts des Etats en matière de lutte contre la corruption, elles ne sauraient à elles seules expliquer une telle régression. Dans la quasi-totalité des pays évalués, les autorités de police et de poursuite en matière économique et financière sont sous-dotées. En outre, les plus gros exportateurs mondiaux dans leur grande majorité ne prévoient aucun régime de protection des lanceurs d’alerte, des acteurs qui occupent pourtant une place centrale dans la révélation de faits de corruption internationale. La France ne déroge pas à la tendance générale : responsable de 3,5% des exportations mondiales, elle se maintient dans la catégorie où la mise en œuvre est jugée modérée, c’est-à-dire où les progrès sont encourageants, mais les actions de mise en œuvre pas encore assez dissuasives. En deux ans, la lutte contre la corruption des agents publics étrangers n’a presque pas progressé. Malgré le recours croissant à des outils transactionnels répressifs tels que la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), la France stagne et peine à lutter efficacement contre la corruption. En cause, un essoufflement de la volonté politique caractérisée par une absence de politique publique globale en la matière, se traduisant notamment par une pénurie de moyens alloués à la justice économique et financière. Pour Patrick Lefas, Président de Transparency International France « Avec le Parquet National Financier, l’Agence Française Anticorruption et une loi ambitieuse sur la protection des lanceurs d’alerte qui la classe parmi les pays les plus avancés du monde en la matière, la France dispose d’outils performants pour lutter contre la corruption. Ces outils ont toutefois besoin d’une véritable ambition politique pour permettre à la France de respecter ses engagements internationaux en matière de corruption d’agents publics étrangers. Au Sommet de Prague où 44 pays du continent européen étaient réunis pour le lancement de la Communauté politique européenne, la lutte contre la corruption et les manquements à la probité aurait pu, aurait dû être au centre des débats et des engagements des chefs d’Etat et de gouvernement. Il n’en a rien été. ». A l’échelle de l’Union européenne, le tableau est encore plus sombre et 4 Etats membres enregistrent un décrochage brutal. En deux ans, l’Espagne, l’Italie, le Portugal et la Suède sont passés de la catégorie « mise en œuvre modérée » à la catégorie « mise en œuvre limitée », tandis que la majorité des Etats membres de l’Union européenne, parmi lesquels la Belgique, le Danemark, la Finlande et le Luxembourg, demeure classée dans la catégorie « mise en œuvre inexistante ». Un paradoxe pour ces Etats qui occupent la partie haute du classement de l’Indice de Perception de la Corruption de Transparency International, preuve qu’aucun pays n’est épargné par la corruption. Selon Patrick Lefas, « les pots de vin versés par des entreprises pour récupérer des parts de marché à l’étranger ont un coût. Ce coût est entièrement supporté par les citoyens de ces pays, qui paient, parfois de leur vie, le prix d’infrastructures de mauvaise qualité, de normes et standards de sécurité non respectés. Les principales économies mondiales qui tolèrent ces pratiques sont tout aussi responsables que les élites locales de la corruption systémique qui règne dans ces pays, de la faiblesse des institutions et des violations des droits fondamentaux. » |