Depuis quelques années, l’Afrique noire francophone, la zone sahélienne plus précisément, est le théâtre d’une turbulence. Une instabilité caractérisée par une profonde remise en cause populaire des systèmes sociaux économiques et politiques établis, de leur leadership tant aux plans national que régional. La cristallisation de cette remise en cause s’est fortement exprimée en défiant les ordres constitutionnels établis y compris par des coups d’état ou des tentatives de coups d’état notamment au Mali, au Niger, en Guinée et au Burkina Faso, entre autres.
A cette instabilité politique, s’est ajoutée l’émergence d’activités terroristes et d’extrémisme violent qui, depuis une dizaine d’années, ne cessent de se développer, s’étendre au point de s’élargir au-delà des frontières du Sahel et menacer les pays du Golfe de Guinée plus précisément le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Togo, le Bénin et le Ghana.
Cause ou conséquence de la paupérisation sociale et économique des peuples de la sous-région, cette situation d’instabilité et d’insécurité multiforme remet fondamentalement en cause les systèmes de gouvernance établis, cherche à définir de nouveaux rapports de force entre les peuples et leurs dirigeants et surtout génère un sentiment de frustration, d’exaspération et de colère qui ne saurait se dissocier des coups d’état militaires, lesquels, au demeurant, deviennent de plus en plus populaires et plutôt bien reçus.
Les remises en causes ne ciblent plus seulement la mauvaise gestion au plan national, mais de plus en plus pointent du doigt ce que les peuples considèrent comme une ingérence notoire et nuisible des anciennes puissances coloniales, particulièrement la France, dans les affaires de leurs pays, un cautionnement des formes de gouvernance corrompue excentrée de leurs intérêts et surtout un soutien à la démocratie à géométrie variable dans la région.
Au-delà de toute tentative de simplification des enjeux sécuritaires de la région et des rapports entre peuples, comprenant la nécessité d’un équilibre et d’une stabilité régionale dans la préservation de la paix et la sécurité internationale tant voulue, les mouvements de la société civile africaine et une grande partie des intellectuels progressistes se posent des questions et parfois s’indignent. Pendant que la France condamne de façon ferme les coups d’Etat militaires au Mali, en Guinée et au Burkina Faso, elle avalise les « troisièmes mandats » et la remise en cause de l’ordre constitutionnel au Tchad, une situation qui pour beaucoup, n’est rien d’autre qu’une dévolution monarchique du pouvoir, soutenu par la caution/silence, sinon la bénédiction de la communauté internationale, notamment l’Organisation des Nations Unies, (ONU) l’Union Africaine (UA) et l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). Certaines d’entre elles semblent n’avoir pas hésité à violer leurs chartes internes et à ignorer toutes les pratiques d’usage établies, dans ces genres de situations.
Le sentiment largement exprimé par les populations d’une complicité de la communauté internationale et des organisations sous-régionales dans les situations de crise qui asphyxient leur mieux-être est donc une réalité pénible et insoutenable. Considérées comme fragilisées, les institutions comme la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (la CEDEAO) et l’Union Economique Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) et même l’Union Africaine, dans une moindre mesure, sont, par ailleurs, aussi soupçonnées de pactiser avec le diable, accusées de ne pas réagir souvent dans l’intérêt des peuples et de laisser se construire des vulnérabilités sociales et politiques, sources de leurs maux. De ce fait, les sanctions de la CEDEAO contre le Mali ont été largement reçues comme un acharnement à caractère discriminant, ourdies pour servir les intérêts d’une puissance étrangère qui manque de cohérence et de crédibilité dans ses rapports avec l’Afrique.
Dans ce climat déjà pesant ou, par ailleurs, le conflit Russo/ukrainien vient remettre en cause l’ordre mondial, économique politique et géostratégique existant, il semble impératif de poser des vraies questions, de se remettre en cause avec lucidité et de voir comment et pourquoi les rapports sociaux ont pu se dégrader et devenir, a ce point, une volonté de rupture, un enjeu politique de souveraineté des peuples. Certainement, l’Afrique francophone doit se réconcilier avec elle-même et s’émanciper des partenariats déséquilibrés.
1. Il faudra, en général, redéfinir les bases et le contenu de la redevabilité des institutions et des classes dirigeantes au profit des peuples et s’assurer que la déconstruction de ce qui est aujourd’hui perçu comme une démarche de deux poids deux mesures, une démarche d’exclusion de discrimination à l’encontre des peuples, puisse laisser place à une renaissance politique, économique et sociale de cette région.
2. Il faudra aussi, au niveau des états, non seulement refonder, avec les peuples, les contours d’un nouveau contrat social et politique voulu, mais aussi s’assurer que le processus soit porté par les ayants droit.
3. Il faudra, enfin, rompre avec les pratiques du passé, y compris les relations de vassalité, d’hégémonie, de discrimination réelles ou perçues comme telles, tout en s’offrant de nouveaux outils, mécanismes et modes de gestion soucieux de préserver les tissus communautaires, les valeurs sociétales africaines et la nécessité de s’ouvrir aux autres en respect, en dignité et en toute indépendance.
C’est ce grand chantier de l’éveil des consciences, de renouvellement de la Gouvernance, du partenariat et de la redevabilité au profit des peuples que cette tribune appelle à construire.
Oumar BA,
Ancien Fonctionnaire des Nations Unies, au nom de « Héritage Kurukan Fuga »
[Un Collectif de Cadres Africains.]