Une fois encore le colonel Abdoulaye Maïga, porte-parole du gouvernement malien, s’est illustré à la tribune de l’Onu par des propos outranciers, destinés notamment à l’Algérie. Pour les représentants de la junte malienne, l’injure et l’invective sont devenues un ingrédient indispensable du discours politique.
régimes issus de coups d’Etat se contentent de faire profil bas lorsque l’occasion leur est donnée d’assister à des événements internationaux. Les putschistes « nouvelle génération » du Sahel ne souscrivent pas à cette élémentaire obligation, optant, depuis le début de leur aventure, pour la surenchère et l’excès. Ce fut le cas, une fois encore, lors de la 79ème Assemblée générale des Nations Unies qui s’est tenue fin septembre à New-York. Très remarqué, le discours du colonel Abdoulaye Maïga, ministre d’Etat et porte-parole du gouvernement du Mali. En termes choisis, et assuré de l’effet de ceux-ci sur son fan-club local, il a réservé ses meilleures tirades à l’Algérie. Critiquant vertement la position de ce pays à l’égard du conflit qui oppose l’armée aux mouvements rebelles dans le septentrion malien, il n’a pas hésité à qualifier le ministre algérien des Affaires étrangères et le représentant permanent de l’Algérie auprès de l’ONU d’« énergumènes diplomatiques ». Le choix des mots…
« Un élan verbal vil et insignifiant »
Dans cette même poussée, il a ajouté : « Quant au Représentant permanent algérien, en plus d’offrir le gîte et le couvert, certainement avec de succulents plats de chakchouka et de chorba, à des terroristes et des renégats en débandade, son rôle d’estafette désorientée ne contribue guère à la promotion des relations de bon voisinage. » Et puis, cette conclusion, une saillie bravache pour contrer d’allusionnelles hostilités : « le Mali et son peuple ne seront pas des spectateurs face aux assauts et l’adversité : pour chaque mot employé de travers, nous réagirons par réciprocité, pour chaque balle tirée contre nous, nous réagirons par réciprocité. A bon entendeur, tant pis ! »
Répondant au porte-parole du pouvoir malien, sans jamais le nommer, le chef de la diplomatie algérienne, Ahmed Attaf, s’est adressé à l’Assemblée des Nations unies en ces mots : « Un représentant d’un pays du voisinage s’est permis de parler de mon pays d’une manière ignoble qui ne convient pas du tout à la dignité d’un endroit comme celui-ci. Il n’est pas permis de suivre son élan verbal vil et insignifiant. Un tel langage bas et mal éduqué ne recevra de la part de mon pays qu’une réponse polie et raffinée qui reflète fidèlement sa loyauté et sa sincérité envers les relations enracinées qui le lient aux peuples et aux pays de la région. Des relations qui ne sont pas affectées ni ébranlées par les facteurs conjoncturels passagers et la médiocrité de ceux qui les attisent… »
On se souvient, en 2022, à cette même tribune de l’Onu, le colonel Abdoulaye Maïga, alors Premier ministre par intérim, avait qualifié le gouvernement français de « junte au service de l’obscurantisme ». La formule avait alors fait le bonheur des propagandistes sur les réseaux sociaux. Elle s’insérait prestement dans l’annuaire des invectives qui tiennent lieu de formules militantes. Dans cette même foulée, le fougueux porte-parole du Mali militarisé avait vivement tancé le secrétaire général de l’Onu, coupable à ses yeux deprendre position en faveur de la Côte d’Ivoire,dans le cadre d’un litige opposant Bamako et Abidjan. Il avait signifié à Antonio Guterres que « le Mali tirera toutes les conséquences de droit de vos agissements ». Le président en exercice de la Cédéao ne fut pas épargné par les diatribes du colonel, de même que le président nigérien Mohamed Bazoum qui, selon lui, « n’est pas nigérien ». En guise de conclusion, il avait promis « le retour à un ordre constitutionnel apaisé et sécurisé en mars 2024, à l’issue d’élections libres, transparentes et crédibles ». Puis, sans sourciller : « La démocratie malienne sera la plus enviée au monde ». Depuis, le mot « démocratie » a été exclu du projet de la junte malienne, et le retour à l’ordre constitutionnel n’a pas eu lieu.
Toujours en 2022, réagissant à ces envolées du colonel Maïga, l’ancien Premier ministre malien Moussa Mara, avait estimé que « face aux réelles préoccupations du pays, la multiplication des frondes, ce ton belliqueux, ainsi que l’adoption d’une posture agressive vis-à-vis de l’extérieur sont contre-productives ». A sa suite, l’ancien ministre nigérien délégué aux Affaires étrangères, Youssouf Mohamed El Moctar, avait « condamné fermement la bassesse des propos du colonel Maïga et l’ivresse de la junte malienne qui lui a fait oublier le sens du protocole et de la diplomatie ». Selon lui, « le colonel Maïga a fait honte à l’Afrique et au monde civilisé ».
Dégradation des comportements sociauxCes « incidents » ne sauraient être rangés dans le répertoire des anecdotes. Ils marquent de leur impact les chapitres d’une diplomatie africaine des temps actuels sur la scène internationale. Depuis leur prise de pouvoir par la force, les militaires putschistes du Sahel ont fait le choix de la communication spectaculaire, les yeux rivés sur les réseaux sociaux. Diatribes accusatoires, récitals de complaintes victimaires, invectives et autres anathèmes ont tissé la trame de leurs discours, davantage destinés à leurs partisans nationaux qu’à l’intelligence collective des opinions internationales. Chez les dirigeants du Niger, du Mali ou du Burkina Faso, l’injure est un ingrédient indispensable du discours et de la diplomatie. Certains chefs d’Etat des pays voisins, qui en font les frais, ont choisi de ne pas répondre à cette pratique à tout le moins inconvenante.
Tel un nouveau courant de comportements, ce mode d’expression s’installe dans les rapports sociaux. Les cyberactivistes « néo-panafricanistes », faisant commerce de la promotion de régimes putschistes, en sont devenus les aiguilleurs, les producteurs et les amplificateurs. Sur les réseaux sociaux, l’insulte tient lieu d’argument de riposte aux opinions contraires, et les meutes de trolls assermentés projettent leur dictionnaire d’injures. Des torrents de grossièretés et d’indécence se déversent à longueur de temps sur les sites de discussions. Et tout ceci finit par révéler une effarante dégradation des comportements sociaux, des canons de l’éducation et des mœurs. Au Mali, il semble bien loin, ce temps où les « grins » étaient des espaces de fécondes et stimulantes joutes oratoires, de discussions croisées et de vifs échanges qui jamais ne cédaient à la vulgarité et à la discourtoisie. Ces grins étaient partout présents. En tous lieux possibles. Aujourd’hui, les militaires au pouvoir sont devenus les seuls maîtres de la parole. La liberté de pensée et la culture de la contradiction sont devenues suspectes. Par-delà les discours tonitruants des dirigeants, on peut douter qu’un tel contexte parvienne à produire des horizons désirables pour les populations.
Francis laloupo