Les partisans de l’opposant ont investi les rues de Dakar et de Ziguinchor, lundi, affrontant les forces de l’ordre et dénonçant un complot pour sortir leur champion de l’arène politique avant l’élection présidentielle de février 2024.
Le coup de massue est tombé, lundi 31 juillet, dans l’après-midi, quelques heures après le placement en détention, à la prison de Sébikotane, de l’opposant sénégalais Ousmane Sonko : son parti politique, les Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), a été dissous par les autorités. Peu après l’annonce, des manifestants, jeunes pour la plupart, sont sortis dans les rues de la capitale, brûlant des pneus et bloquant les routes. Des affrontements ont éclaté avec les forces de l’ordre. A Ziguinchor, ville du sud du pays et fief d’Ousmane Sonko, deux personnes ont succombé à leurs blessures, selon le ministère de l’intérieur.
De crainte que les manifestations dégénèrent, le gouvernement a prolongé l’interdiction de circulation des motos dans la région de Dakar et suspendu temporairement l’accès à Internet sur les téléphones mobiles et sur certaines plages horaires en raison de la « diffusion de messages haineux et subversifs » sur les réseaux sociaux. L’organisation Amnesty international a mis en cause cette « atteinte à la liberté d’information », et appelé les autorités à « rétablir l’Internet », dans un message sur Twitter (rebaptisé X).
Pour justifier la dissolution du Pastef, le ministre de l’intérieur, Antoine Félix Abdoulaye Diome, a fait valoir que les responsables de la formation avaient « fréquemment appelé [leurs] partisans à des mouvements insurrectionnels » ayant entraîné « de nombreuses pertes en vies humaines, de nombreux blessés ainsi que des actes de saccage et de pillage de biens publics et privés ». Une référence aux troubles survenus au Sénégal en mars 2021 et en juin 2023 qui ont fait plus de quarante morts, suite à l’arrestation puis à la condamnation d’Ousmane Sonko, le 1er juin, à deux ans de prison ferme dans une affaire où il était accusé de viol.
Les partisans du maire de Ziguinchor dénoncent un complot pour sortir leur champion de l’arène politique avant l’élection présidentielle de février 2024. Condamné pour diffamation en mai puis pour corruption de la jeunesse en juin, Ousmane Sonko avait été arrêté, vendredi 28 juillet, dans le cadre d’une troisième affaire. Présenté à un juge d’instruction lundi, il a été inculpé et placé sous mandat de dépôt ; une procédure dans laquelle il est poursuivi pour huit chefs d’accusation, dont appel à l’insurrection, association de malfaiteurs, atteinte à la sûreté de l’Etat, complot contre l’autorité de l’Etat et… vol de téléphone portable.
« Je viens d’être injustement placé sous mandat de dépôt. Si le peuple sénégalais, pour qui je me suis toujours battu, abdique et décide de me laisser entre les mains du régime de Macky Sall, je me soumettrai, comme toujours, à la volonté divine », a réagi Ousmane Sonko sur les réseaux sociaux. D’après ses avocats, l’opposant poursuivait lundi sa grève de la faim qu’il a entamée dimanche.
Des voies de recours pour casser la dissolution sont explorées
Il n’est pas le seul cadre du Pastef visé par la justice. Bassirou Diomaye Faye, secrétaire général et numéro deux de la formation, est toujours en prison pour une publication sur les réseaux sociaux en avril dans laquelle il critiquait le comportement de certains magistrats, tandis que Birame Souleye Diop et El Malick Ndiaye, deux responsables importants de la structure, sont tous les deux sous contrôle judiciaire respectivement pour offense au chef de l’Etat et diffusion de fausses nouvelles. D’après le Pastef, 700 partisans ont été arrêtés dans le pays depuis le 1er juin.
« Cette dissolution n’est pas une surprise, mais le nouvel épisode d’une macabre série de démolition de la démocratie sénégalaise », dénonce Ousseynou Ly, membre de la cellule communication du Pastef, assurant que toutes les voies de recours possibles devant les institutions nationales et internationales pour casser cette décision des autorités sont déjà explorées. Le « Pastef n’est jamais allé seul à une élection, il a toujours évolué dans une coalition, comme dernièrement dans Yewwi Askan Wi ; donc nous n’avons pas besoin d’un parti politique légalement reconnu par l’Etat pour aller à une élection », avance-t-il, optimiste.
Pour Pape Mahawa Diouf, porte-parole de la coalition présidentielle Benno Bokk Yaakaar, la dissolution du Pastef ne vise pas l’opposition dans son ensemble, mais les méthodes d’« une organisation politique violente qui a eu beaucoup d’initiatives visant à déstabiliser la République et la paix au Sénégal ». A cet égard, son démantèlement est « un impératif de sécurité nationale », d’autant plus nécessaire pour « préserver le modèle démocratique sénégalais » que l’Afrique de l’Ouest a été marquée ces dernières années par plusieurs coups d’Etat, au Mali, au Burkina Faso, en Guinée et, plus récemment, au Niger.
Seydi Gassama, directeur exécutif d’Amnesty International au Sénégal, rappelle que la dernière formation politique à avoir été dissoute dans le pays était le Parti africain de l’indépendance, en 1960. « Depuis lors, même sous l’ère Abdou Diouf [président de 1981 à 2000], aucun parti n’avait connu ce sort, même celui d’Abdoulaye Wade quand il était opposant », souligne-t-il. La décision visant le Pastef est donc, selon le défenseur des droits humains, « une attaque contre la liberté d’association et contre les droits civils et politiques ». Même s’il a déclaré qu’il ne se présentera pas à un troisième mandat en 2024, « [le président sénégalais] Macky Sall veut s’assurer que son parti reste au pouvoir et qu’il n’est pas remplacé par Ousmane Sonko », estime M. Gassama.
Le Monde Afrique