Ses partisans le surnomme affectueusement “Baba”, Kiswahili pour “papa”.A 77 ans, Raila Amolo Ondinga est un vétéran de la politique Kényane.Candidat à la présidentielle du 9 Août, c’est la cinquième fois qu’il tente de remporter la magistrature suprême.
Figure de l’opposition, avec quelques passages au gouvernement, « ses empreintes sont visibles sur toute la scène politique kényane », souligne l’analyste politique Dismas Mokua. Au cours de son long parcours politique, il s’est construit une base de soutiens loyaux et inconditionnels, surtout parmi les Luos, communauté de l’ouest du Kenya dont il est originaire.
S’il s’en défend aujourd’hui, Raila Odinga est perçu comme faisant partie de ces « dynasties » politiques kényanes. Son père, Jaramogi Oginga Odinga était vice-président sous le mandat de Jomo Kenyatta, premier chef d’État du Kenya après l’indépendance et père de l’actuel président, Uhuru Kenyatta.
Pendant la campagne, il a tenté de se positionner comme une figure paternelle, proche du peuple, en défendant des mesures sociales comme le « Baba care », censé apporter des soins de santé abordables pour tous, ou encore la mise en place d’une aide financière mensuelle de 6 000 shillings kényans (environ 48 euros) aux foyers les plus vulnérables. Il a aussi annoncé sa volonté de négocier un allègement de la dette et a placé la lutte contre la corruption au cœur de son programme.
Séquelles physiques de ses années de détention
Certains le qualifient de populiste, d’autres de « socialiste », évoquant notamment ses études d’ingénieur en Allemagne de l’Est communiste ou le prénom de son fils aîné Fidel, un hommage à Fidel Castro, mais Odinga est aussi à la tête d’un solide patrimoine économique, ayant fait affaire principalement dans le secteur de l’éthanol et du pétrole.
Son engagement politique remonte au début des années 1980 où il milite contre la règle du parti unique, alors en vigueur au Kenya, ce qui lui vaut plusieurs années de détention. Il est arrêté une première fois en 1982, soupçonné d’être impliqué dans une tentative de coup d’État contre Daniel Arap Moi, président du Kenya à l’époque. Il passera six ans derrière les barreaux avant d’être libéré en février 1988, puis de nouveau détenu à deux reprises. Il finit par s’exiler brièvement en Norvège.
De ses années de détention, Raila Odinga garde encore des séquelles physiques. Il se déplace toujours avec un mouchoir en tissu à la main. « Les pleurs de la chambre de torture continuent de couler », s’est-il justifié par le passé, précisant porter « avec fierté les cicatrices de la libération ».
De retour au Kenya en 1992, il n’abandonne pas malgré tout la politique et fait son entrée au Parlement. S’ensuivent plusieurs décennies dans l’opposition durant lesquelles il se porte candidat à la présidentielle, mais échoue à quatre reprises, en 1997, 2007, 2013 et 2017.
Premier ministre de 2008 à 2013
En 2005, Odinga décide de former son propre parti politique, le Orange Democratic Movement (ODM), sous la bannière duquel il est candidat à la présidentielle de 2007, dont Mwai Kibaki sort vainqueur. Le résultat est fortement contesté, notamment par Odinga, leader de la communauté Luo. S’ensuivent plusieurs semaines de violences ethniques au cours desquelles plus de 1 100 personnes ont perdu la vie et plusieurs centaines de milliers ont été déplacées. Martha Karua, la colistière actuelle d’Odinga pour la présidence, avait à l’époque accusé son parti, l’ODM, d’avoir incité à un « nettoyage ethnique ».
La crise se résout par un accord de partage de pouvoir entre Mwai Kibaki et Raila Odinga, qui devient Premier ministre. Il le restera de 2008 à 2013. Durant cette période, il est un des artisans de la Constitution de 2010.
Raila Odinga se représente à nouveau aux présidentielles de 2013 et 2017. Il échoue à deux reprises face à Uhuru Kenyatta, et conteste le résultat devant la Cour suprême. Cette dernière ne lui donne pas raison en 2013, mais reconnaît des « irrégularités » en 2017 et annule le scrutin. Un nouveau est organisé, mais Raila appelle au boycott. Kenyatta l’emporte avec 98% des voix et un taux de participation de 39%.
Odinga ne reconnaît pas le résultat et va jusqu’à organiser une cérémonie d’investiture en janvier 2018 où il s’auto-déclare « Président du peuple ». Pour mettre fin aux tensions, Uhuru Kenyatta et Raila Odinga se serrent la main en mars 2018, un geste, surnommé « the handshake », devenu très symbolique.
Marionnette du pouvoir, selon ses détracteurs
C’est le début d’un partenariat politique entre les deux hommes. Ensemble, ils font notamment campagne pour une réforme de la Constitution, le « Building Bridges Initiative », surnommé « BBI », qui vise, entre autres, à créer un poste de Premier ministre. La Cour suprême y a toutefois mis un coup d’arrêt, déclarant le projet illégal. Raila Odinga bénéficie aussi cette année du soutien d’Uhuru Kenyatta, qui ne peut pas se représenter. Le parti de ce dernier, le Jubilee, fait partie de la coalition Azimio la Umoja (« Quête d’unité ») sous laquelle Odinga est candidat.
Avec cette alliance, l’image d’éternel opposant portée par Odinga a été affaiblie. Ses détracteurs l’accusent même d’être une marionnette du pouvoir et dénoncent une union opportuniste entre les deux « dynasties » politiques. Le vétéran s’en défend. Devant la presse en juillet, Odinga a affirmé être « une personne indépendante avec des convictions fortes ».
Ses partisans les plus fidèles le voient toujours comme un défenseur de la démocratie et le surnomment déjà « Baba the Fifth ». Pour devenir le cinquième président du pays, Raila Odinga doit toutefois, entre autres, convaincre les électeurs du Mont Kenya, fief de Kenyatta et principal réservoir de votes du pays. Celui qui est reconnu pour sa forte capacité de mobilisation est aussi apparu vieilli dans la campagne, s’exprimant parfois avec une élocution confuse. Ce qui n’a pas empêché ce grand-père de cinq petits-enfants de continuer à animer ses meetings politiques avec sa marque de fabrique, la « Raila Dance », des pas de danse au ralenti rythmés par des notes de reggae, une de ses passions avec le foot.
Martha Karua
Reconnue pour sa fermeté et son franc-parler, Martha Karua s’est vite attiré le surnom de « dame de fer » en politique. En 2009, elle s’est notamment fait remarquer en démissionnant de son poste de ministre de la Justice, citant des frustrations dans l’exercice de ses fonctions. Ancienne députée, elle a aussi été candidate à la présidentielle de 2013. Originaire du Mont Kenya, celle qui surnomme désormais Odinga « mon capitaine » pourrait l’aider à séduire les électeurs de la région.
RFI